L’une des avancées médicales les plus importantes de l’histoire moderne est sans conteste la découverte des antibiotiques même si leurs effets semblent avoir atteint une limite dans leur efficacité à traiter les infections. En effet, même si les antibiotiques peuvent éradiquer la majorité d’une population bactérienne génétiquement susceptible, une fraction de cette population peut survivre aux traitements. Appelées récalcitrantes (aussi connues sous le nom de persistantes ou tolérantes), ces bactéries constituent un réservoir qui peut, en cas de repopulation de l’hôte, être la cause d’une rechute de l’infection après arrêt du traitement. Cette sous-population peut aussi participer à l’évolution de la résistance aux antibiotiques, limitant d’autant plus les options de traitements. Au cours de cette dernière décennie, la récalcitrance aux antibiotiques a donc suscité une prise de conscience quant à leur importance, conduisant à l’identification, dans certains pathogènes, de déterminants génétiques impliqués dans ce phénomène. Cependant, force est de constater que s’agissant des bactéries du groupe ESKAPE, peu de choses sont actuellement connues, notamment chez Enterococcus faecium (Efm) et Enterobacter cloacae complex (Ecc). Le groupe ESKAPE regroupe un ensemble de bactéries pathogènes nosocomiales qui, selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), représente une menace planétaire du fait de leurs multiples résistances aux antibiotiques et leur diffusion au sein des hôpitaux. En effet, Efm et Ecc comptent parmi les principales causes d’infections acquises à l’hôpital, infections qui touchent environ 6 millions de patients chaque année, rien qu’en Europe et aux États-Unis, entrainant 200,000 décès et un coût supplémentaire d’une dizaine de milliards de dollars. Étant donné le lien étroit entre la récalcitrance et la résistance, l’étude des mécanismes régissant la survie aux antibiotiques chez Efm et Ecc est essentielle dans la lutte contre l’antibiorésistance afin de proposer des traitements plus ciblés. Pour relever ce défi, ce projet propose trois axes de travail. Le premier sera centré sur la caractérisation des déclencheurs de la récalcitrance. En testant différents stress relevant pour l’infection (par CFU et Fluorescence Dilution), nous identifierons les conditions induisant la récalcitrance. Pour comprendre comment la récalcitrance est induite, nous investiguerons ensuite l’hypothèse d’un switch transcriptionnel induit par un stress et pour identifier cette signature transcriptionnelle, différents RNA-seq en présence de stress avant (perturbome) et après (récalcitrome) traitement antibiotique seront réalisés. Ces résultats seront un tremplin pour la caractérisation des déterminants génétiques de la récalcitrance aux antibiotiques. Identifiés grâce à des approches génétiques de pointe telles que le cycling d’antibiotique ou le Tn-seq, ces acteurs constitueront les premières cibles pour lutter contre la récalcitrance aux antibiotiques. Le second axe aura pour ambition d’étudier l’origine de cette récalcitrance, et de faire le lien entre la récalcitrance et la rechute d’une infection par l’analyse de la signature génique de souches cliniques de patients ayant souffert d’infections récurrentes provoquées par Efm ou Ecc. En comparant les polymorphismes nucléotidiques de souches issues d’épisodes récurrents chez un même patient, nous serons dans la capacité d’estimer la prévalence de la rechute. L’utilisation de modèles animaux nous permettra de définir le foyer de la récalcitrance lors de l’infection et l’analyse transcriptionnelle de ces bactéries récalcitrantes durant l’infection nous aidera à établir une signature-type conférant aux bactéries la possibilité de survivre aux traitements au sein de leur hôte. Enfin, ce projet explorera le lien entre la récalcitrance et la résistance aux antibiotiques chez Efm et Ecc, la première étant décrite, chez d’autres pathogènes, comme étant le terreau de l’autre. L’acquisition de mutations ou de gènes de résistances (vancomycine et imipénem) par l’intermédiaire d’éléments génétiques mobiles chez les bactéries récalcitrantes conduisant à la résistance aux antibiotiques seront examinées à la fois in vitro et in vivo en modèles murins. De manière globale, ce travail nous permettra d’identifier et de caractériser les déclencheurs et les déterminants génétiques impliqués dans la formation de la récalcitrance chez Efm et Ecc, de localiser leur niche durant l’infection, conduisant à la rechute et de démontrer le rôle actif que jouent ces récalcitrants dans l’évolution de la résistance aux antibiotiques. Ce projet a pour but d’apporter des pistes de travail exploitables dans un futur proche pour non seulement lutter contre les bactéries récalcitrantes aux antibiotiques, mais surtout pour appréhender la lutte contre la résistance aux antibiotiques en s’attaquant à la récalcitrance.